Jean Turco, l'art de partager le plaisir

Jean Turco, l'art de partager le plaisir

Olimpia Gaia Martinelli | 7 sept. 2022 8 minutes de lecture 2 commentaires
 

L'idée de Jean Turco a toujours été de partager le plaisir qu'il a éprouvé à voir l'une ou l'autre des choses qui s'offrent à notre regard, soit telles qu'elles sont réellement lorsque la lumière les met en valeur, soit dans ma façon de les voir, de les sortir de leur contexte pour en faire des images qui illustrent une idée, un sourire ou un message à une muse, un ami, un collectionneur ou un simple inconnu...

Qu'est-ce qui vous a poussé à créer des ?uvres d'art et à devenir un artiste ? (événements, sentiments, expériences...)

Mon idée a depuis toujours été de partager le plaisir que j’avais à voir l’une ou l’autre des choses qui s’offrent à notre regard, soit telles qu’elles sont effectivement lorsque la lumière les met en valeur, soit dans ma façon de les voir, de les extraire de leur contexte pour en faire des images illustrant une idée, un sourire ou un message à une muse, un ami, un collectionneur ou à celle ou celui, qui ne me connait pas et que je ne connais pas, dont le regard va s’arrêter sur mes photographies.

Quel est votre parcours artistique, les techniques et les sujets que vous avez expérimentés à ce jour ?

Je pense avoir essayé toutes les techniques qui permettent d’exprimer une émotion ou une simple interprétation des choses ;  en partant de la sculpture jusqu’à la peinture en passant par la gravure et le dessin, la poésie, la musique. Mais il s’est rapidement avéré que c’est la photographie qui me correspondait et me permettait le plus d’agir selon ma manière d’être qui est de concevoir la vie comme un instant fugace dont il importe de ne pas perdre une seconde et de les vivre avec exagération, à cent-quatre-vingts ou deux-cents pour cent.

Quels sont les 3 aspects qui vous différencient des autres artistes, rendant votre travail unique ?

- Le fait que je sois absolument basique et que je ne comprenne rien aux discours conceptuels que j’entends dans les galeries ou les expositions, voire à ceux développés par les critiques qui me présentent lors des vernissages d’exposition et qui, décidément, doivent être beaucoup plus intelligents, ou du moins plus et mieux instruits que je le suis. La chose s’avérant plus particulièrement aux Rencontres d'Arles où, autre lieu extraordinaire en ce sens, à la Biennale à Venise.

- Le fait que, d’une part, j’utilise d’une façon tout à fait normale, logique et classique le matériel photographique, argentique ou non, que je possède en grande quantité et, d’autre part, que j’utilise en fonction du sujet choisi ou de la finalité de l’image à réaliser le matériel qui me semble le plus adapté qui peut-être aussi bien un smartphone qu’une chambre technique 20x25.

- Le fait que j’aime mes contemporains - plus particulièrement et passionnément les femmes - et les objets. C’est sans doute le motif de ma spécialisation dans la photo de nu, de portrait et de nature morte, sans que, bien évidemment, je néglige les mille autres sujets qu’il est possible de photographier.

D'où vient votre inspiration ?

De l’émotion que provoque un regard que je croise, un physique qui me surprend, par sa laideur ou sa beauté, un objet qui a vécu que je trouve chez un antiquaire, un brocanteur ou sur un vide-grenier.

Quelle est votre démarche artistique ? Quelles visions, sensations ou sentiments, voulez-vous évoquer chez le spectateur ?

Tout dépend du sujet et mes sensations et sentiments diffèrent s’il est question de nu, de paysage, de nature morte ou d’autres sujets. Ce que je désire avant tout est simplement de partager avec celle ou celui qui regardera ce que j’ai fait, ce qui m’a plu, troublé, ému, semblé digne d’être mis en évidence et comment j’ai visualisé puis réalisé l’image présentée.

Quel est le processus de création de vos ?uvres ? Spontané ou avec un long processus préparatoire (technique, inspiration des classiques de l'art  ou autre)?

Là encore il y a plusieurs possibilités, soit je croise ou tombe par hasard sur un sujet qu’immédiatement j’imagine dans une image que je peux faire sur place ou en studio, soit, et c’est le cas pour les images par exemple des « case coloniche » (les métairies) où il importe que la lumière corresponde à celle que j'estime idéale. Dans ce cas, une fois repérés puis localisés sur Google map les lieux où je vais opérer, je détermine l’heure exacte à laquelle la lumière les éclairera selon l’angle qui me convient avant de me rendre sur place avec le matériel idéal pour le type d’image que je veux réaliser.  

Utilisez-vous une technique de travail particulière ? si oui, pouvez-vous l'expliquer ?

Parler de technique de travail n’est pas vraiment la façon de décrire mon mode opératoire qui consiste simplement à voir la lumière et, soit en extérieur, à déterminer et attendre le moment exact, et fugace, où elle correspondra à celle que j’estime la meilleure pour éclairer le sujet, soit en studio à la recréer afin qu’elle souligne et mette en évidence ce que je désire montrer. Le reste est de la simple technique qu’il est, selon moi,  important de maitriser en matière de photographie où le matériel et plus que tout la connaissance de ses limites et de son fonctionnement sont obligatoires pour pouvoir réaliser confortablement l’image que l’on a visualisée.

Cela n’empêche absolument pas qu’existent de merveilleuses images qui sont techniquement « ratées » et de tristes images qui sont parfaitement réalisées d’un point de vue technique. Toutes les règles comportent en effet des exceptions.

Y a-t-il des aspects novateurs dans votre travail ? Pouvez-vous nous dire lesquels ?

Je pense que depuis Lascaux et la grotte Chauvet les artistes ont tout essayé et que tout a été fait. Et comme je ne cherche ni à surprendre ni à choquer, je ne ressens donc pas le besoin de mettre mes excréments en boite ou d’uriner sur un crucifix pour essayer d’exister. 

Avez-vous un format ou un support avec lequel vous êtes le plus à l'aise ? si oui, pourquoi ?

Jusqu’à l’a naissance du numérique j’utilisais principalement des 6x6 Hasselblad ou du 4x5 et 8x10 inches  Sinar et j’ai de ce fait pris l’habitude de composer mes images soit dans ces derniers formats soit en carré. Je suis de ce fait moins à l’aise avec les formats des capteurs du numérique dans lesquels, habituellement, je compose et retaille en carré.

Où produisez-vous vos ?uvres ? A la maison, dans un atelier partagé ou dans votre propre atelier? Et dans cet espace, comment organisez-vous votre travail de création?

Là encore tout dépend de ce que je dois faire, j’ai trois studios, un en France et deux en Italie équipés en flash électroniques et en lumière continue adaptées, par leurs dimensions, au portrait ou à la nature morte. Pour les autres images, lorsque des locaux de grande taille me sont utiles, ou pour les workshops et Master-class que je dirige, j’opère dans des studios de location, ce qui offre la possibilité de choisir des lieux parfaitement adaptés à l’utilisation envisagée.

Votre travail vous amène-t-il à voyager afin de rencontrer de nouveaux collectionneurs, pour des salons ou des expositions ? Si oui, que cela vous apporte-t-il ?

Je voyage beaucoup en effet, soit pour donner des cours, soit pour des conférences ou pour mes expositions, soit même pour présenter ou « livrer » à certains collectionneurs avec lesquels j’entretiens des rapports amicaux et non commerciaux les images qu’ils ont achetées.

Comment imaginez-vous l'évolution de votre travail et de votre carrière d'artiste dans le futur ?

J’ai 74 ans et mon futur est donc relativement limité. La Covid est un gros soucis pour moi, car avec l’aide de lala Zhang, une Chinoise exceptionnelle qui me représente dans son pays j’ai développé en Chine où un de mes livres sur la lumière a été traduit et fait référence, un solide réseau avec des artistes locaux, des galeries et des collectionneurs. 

Le virus, le blocage des frontières, le fait de ne plus partager avec ces contacts autrement que par écrit a certainement  modifié nos rapports et objectivement perdre à ce jour une partie de leur qualité.  J’attends avec impatience la sortie de cette pandémie pour retourner sur place, mais je crains que le travail qui avait été fait soit à reprendre totalement et je ne sais pas si cela m’amusera encore autant et si je retrouverai intacte ma motivation pour le faire.

Quel est le thème, le style ou la technique de votre dernière production artistique ?

Je suis en Italie une grande partie de l’année où, outre les portraits et les nus de commande, je fais beaucoup de nature morte et, lorsque la saison s’y prête, pour la qualité des ciels, la nature et la hauteur des cultures, je poursuis la réalisation dans l’idée d’un volume dédié, des images de « case coloniche » , des métairies en fait, qui remontent à la « Bonifica » des marais et qui, trop grandes, trop isolées, économiquement ingérables aujourd’hui, dépérissent et s’écroulent inexorablement les unes après les autres 

Pouvez-vous nous parler de votre expérience d'exposition la plus importante ?

Sans être la plus importante, l’exposition dont je garde un grand souvenir a eu lieu en Chine, où j’ai d’ailleurs eu le plaisir de fouler le tapis rouge comme invité d’honneur de Beijing-Photo après Paris-Photo. Cette exposition chinoise à Pékin m’a marquée, car je suis arrivé le soir à l’aéroport avec dans mes bagages, enroulées, 140 photographies qui devaient être exposées le lendemain, le vernissage ayant lieux à 18 heures. Et à 18 heures le lendemain, Lala Zhang  ayant dirigé les opérations,  les 140 photos parfaitement encadrées, certaines dans des formats de plus d’un mètre cinquante de large, étaient accrochées au millimètre prêt sur les murs d’un espace plus que parfaitement réalisé. C’est en Chine que cela se passe, un point c’est tout. 

Si vous aviez pu créer une ?uvre célèbre dans l'histoire de l'art, laquelle choisiriez-vous ? Et pourquoi ?

La " scène de chasse " montrant une quinzaine de félins poursuivant un troupeau de bisons de la grotte Chauvet. Parce que c’est la peinture qui m’émeut le plus lorsque je pense à ceux qui l’on fait et aux conditions dans lesquelles ils l'ont fait.

Si vous pouviez inviter un artiste célèbre (mort ou vif) à dîner, qui serait-ce ? Comment lui proposeriez-vous de passer la soirée ?

J’en inviterai deux, Picasso et Leonardo et je passerai ma soirée à les écouter se parler.


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