Elisabeth Laplante, la liberté de l'abstraction

Elisabeth Laplante, la liberté de l'abstraction

Olimpia Gaia Martinelli | 14 mai 2022 8 minutes de lecture 0 commentaires
 

La pratique surréaliste a appris à Elisabeth Laplante à se laisser aller. Cette particularité n'a pas quitté l'artiste lorsque, plus tard, son travail a évolué vers l'abstraction...

Qu'est-ce qui vous a poussé à créer des oeuvres d'art et à devenir un artiste ? (événements, sentiments, expériences...)

Je ne sais pas si on est poussé, ou si on « devient » artiste. Ce que je sais , c'est que, petite, le mot « peinture » prononcé par quelqu'un, me mettait dans une sorte de transe. Je n'ai jamais su pourquoi.

J'ai toujours dessiné, c'est une chose normale pour moi, mais la création a vraiment commencé en découvrant l'oeuvre de Hans Bellmer. Ensuite sont venus les surréalistes et leurs pratiques. Je suis sortie acheter du matériel, des huiles, des toiles et des pinceaux, je me suis enfermée dans ma chambre de bonne et je n'ai pas arrêté.

Quel est votre parcours artistique, les techniques et les sujets que vous avez expérimentés à ce jour ?

La pratique surréaliste m'a enseignée le lâcher prise, comme l'écriture automatique, laisser venir. Cela ne m'a pas quittée, quand, par la suite ma facture a évolué vers l'abstraction. C'est aussi très utile dans la vie, faire confance à son intuition, qui ensuite se révèle juste...

L'abstraction ouvre la porte de la liberté, avec ses diffcultés et ses joies. J'ai beaucoup travaillé à l'huile sur toile, J'aime beaucoup le papier, un papier lisse et satiné, où j'utilise l'encre , les pigments. Ce qui me plaît extrêmement c'est la bataille entre l'huile et l'eau. Je ne travaille pas dans le fguratif, je n'ai d'ailleurs jamais travaillé d'après modèle depuis mon adolescence. Je ferais la comparaison entre un instrumentiste et un compositeur en musique, l'un va interpréter, l'autre va créer. C'est un peu la même chose, de mon point de vue, entre la peinture fgurative et l'abstraction, ceci dit sans jugement.

Mon travail se plaît à transcrire en image, en tableau, en dessin, la réalité des sensations, du toucher en particulier, chose diffcile à traduire en mots : la «feur de peau».

Cela s'étend aussi à la peau des murs. Ces constructions humaines, souvent anciennes, ont été témoins de tellement d'évènements, brefs ou continus, graves ou anodins. Ils nous racontent une histoire, celle des humains, et mon plaisir est de les capter en photographie, pour ce qu'ils ont de beau, tellement chargés d'émotions et d'histoire. Je traite aussi ce sujet en peinture sur papier, ou collages. Cette zone d'interface entre ces murs et notre regard, entre la peau, donc nous et le reste du monde, me concerne complètement.

Quels sont les 3 aspects qui vous différencient des autres artistes, rendant votre travail unique ?

Mon travail est une recherche personnelle, d'harmonie et d'équilibre, avec un facteur de déséquilibre pour ce que cet équilibre soit dynamique. La beauté m'inspire, mais aucunement l'esthétisme. La beauté me nourrit véritablement. Le sens profond de mes peintures et dessins, comme dans mes photos abstraites d'ailleurs, vise à l'universalité, au contraire de l'anecdotique qui envahit les écrans et les plateformes, où la peinture « gag »me laisse complètement froide.

D'où vient votre inspiration ?

Mon inspiration est diverse et ne se commande pas. Quand je peins, je « plonge » dans un état mental proche de la méditation où le temps et l'espace disparaissent, et je laisse venir.Tout peut être déclencheur, une photo, une musique, un outil, une matière ou même les résidus d'une ancienne peinture, morceaux de papier... Il faut que l'envie soit là, d'ailleurs l'envie nous met « en vie ».

Quelle est votre démarche artistique ? Quelles visions, sensations ou sentiments voulez-vous évoquer chez le spectateur ?

Mon désir est de toucher à l'universalité, toucher à tout ce qui appartient à tout être ou presque, les émotions par exemple, mais pas uniquement ; je crois qu'il existe un sens du beau commun à toutes les cultures, non pas que le beau est identique partout, mais le sens du beau, oui.  La beauté et la sérénité sont mes premiers critères auxquelles j'ajouterais la subtilité et la délicatesse.

Quel est le processus de création de vos oeuvres ? Spontané ou avec un long processus préparatoire (technique, inspiration des classiques de l'art ou autre)?

Mon processus de création est à la fois spontané, et sur le long cours. C'est un chemin, rocailleux par moment, mais qui s'appuie sur une pratique, de divers matériaux, de media, de lectures, de fréquentations de musées et de galeries, de rencontres, d'éblouissements d'autres peintres vivants ou morts. Mais quand je « plonge », je ne réféchis pas à cet arrière plan. La création est un acte synthétique de toutes les expériences, ressentis, besoins, idées. L'oeuvre se met en synthétise comme un puzzle, où d'un coup tout est à sa juste place, matériaux avec contenu conceptuel. 

Utilisez-vous une technique de travail particulière? si oui, pouvez-vous l'expliquer ?

Le travail est bien sûr différent suivant le matériau que l'on utilise , toile, papier, bois, huile, pigments ou autres, bien différent aussi suivant la dimension du support. Le geste est complètement différent entre une petite ou une grande surface. Souvent je ne me rappelle pas exactement comment j'ai fait et avec quoi je l'ai fait. Je ne sais pas faire deux fois la même chose.

Y a-t-il des aspects novateurs dans votre travail ? Pouvez-vous nous dire lesquels ?

Je me sens comme une tête chercheuse, ce qui a ses avantages et ses inconvénients. Ma recherche de découvertes, de nouveautés, peut aller à l'encontre du résultat ou peut-être le reléguer au second plan, ce dont je dois me méfer. Je cherche toujours du nouveau, c'est presque un handicap, bien que je travaille par série. Mais je ne peux pas reprendre une série longtemps après l'avoir terminée.

Avez-vous un format ou un support avec lequel vous êtes le plus à l'aise ? si oui, pourquoi ?

J'ai beaucoup aimé travailler l'huile sur toile mais la dangerosité de la térébenthine et l'encombrement d'un masque commence à me peser. Je teste du coup la peinture aux alkydes, moins polluantes. J'adore travailler les encres, pigmentaires pour la tenue dans le temps, pour leur transparence et leur légèreté. La subtilité est chère à mon coeur. J'adjoins à ces matériaux, aussi des fls, des cheveux, des papiers. J'ai une prédilection pour les collages (voir Fong Chung Ray à la galerie Vazieux, une merveille).

Où produisez-vous vos oeuvres ? A la maison, dans un atelier partagé ou dans votre propre atelier? Et dans cet espace, comment organisez-vous votre travail de création?

J'étais encore il y a peu dans un appartement en rez de chaussée, avec mon atelier au niveau inférieur, la luminosité n'y étant pas optimum, mais cela ne me gênait pas trop. Désormais j'habite à Oléron dans une maison et je vais transformer un garage en atelier. Pour l'instant je travaille dans le salon...J'aime avoir tout à portée de main, visuellement, car tout peut me servir sans à priori, des tissus des vieux restes de travail. J'ai aussi besoin de musique, du jazz, car je le ressens comme intemporel.

Votre travail vous amène-t-il à voyager afn de rencontrer de nouveaux collectionneurs, pour des salons ou des expositions ? Si oui, que cela vous apporte-t-il ?

J'ai surtout exposé à Paris et en région parisienne, mais aussi en Espagne et à Londres. Mes expositions m'emmènent dans divers endroits et c'est l'occasion de voyager, découvrir et faire de nouvelles rencontres de nouvelles personnes, galeristes, artistes, collectionneurs, acheteurs potentiels, c'est un des plaisirs des expositions. Je vais exposer à Madrid en juillet et cela me permettra d'aller chercher mes tableaux et de visiter cette ville que je ne connais pas, comme d'ailleurs une exposition personnelle que je fais dans le Cher en mai et où je me rendrai.

Comment imaginez-vous l'évolution de votre travail et de votre carrière d'artiste dans le futur ?

Pour le futur, je vais continuer à chercher, je ne sais pas faire autrement, en me concentrant sur des expositions sélectives tant en matière de statut professionnel des exposants, et de choix d'une ligne cohérente dans ce qui est montré. Je travaille, je travaille je cherche à exposer, et tant mieux si mon travail plaît à qui ça plaît..

Quel est le thème, le style ou la technique de votre dernière production artistique ?

Mon dernier travail artistique, en peinture, mettait en évidence l'histoire et le vécu des murs, témoins de nos vies, de l'histoire et se traduit par des productions (50x70 cm) sur papier mêlant huile et eau, que je vais mettre en correspondance avec les photos de murs, abstraites comme je les pratique et je les aime. Ce que peut apporter la peinture et ce que peut apporter la photographie, côte à côte en quelque sorte.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience d'exposition la plus importante ?

Le choix est diffcile pour parler de l'exposition la plus importante pour moi. Il y a bien sûr les grands salons, mais je pense surtout au Festival d'Arts Actuels Ré-Oléron auquel j'ai participé 3 fois, avec à chaque fois des media différents : photo – art plastique – peinture. La présidente malheureusement décédée l'année dernière, Catherine Métais, avait un goût sûr et pointu, exigeante et sans concession et l'ensemble y était donc très cohérent de qualité et les participants de même. J'ai eu la possibilité de proposer des oeuvres qui me tenaient particulièrement à coeur, diffciles à montrer quelque fois. Je fais référence à un corpus d'oeuvres sur la femme dans sa sexualité et dans son positionnement dans les diverses cultures du monde, un vaste sujet pas toujours accepté. J'ai été heureuse que l'occasion me soit donnée de montrer ce travail. 

Si vous aviez pu créer une oeuvre célèbre dans l'histoire de l'art, laquelle choisiriezvous ? Et pourquoi ?

Si je devais choisir une oeuvre d'art célèbre, j'hésiterais entre l'oeuvre de Antoni Tapiès et celle de Cy Twombly , entre la force percutante de l'un et la délicatesse de l'autre, étant partagée moi-même entre ces deux pôles. 

Si vous pouviez inviter un artiste célèbre (mort ou vif) à dîner, qui serait-ce ? Comment lui proposeriez-vous de passer la soirée ?

La soirée à passer avec un artiste ne me tenterait pas forcément, l'ego de certains étant un peu diffcile, surtout Picasso, ou Baselitz quand on sait comment il considère les femmes artistes... Allez aussi jeter une oreille au podcast sur Picasso sur « Vénus s'épilait-elle la chatte? », cela correspond exactement à ce que j'ai toujours deviné de Picasso. Peut-être Helen Frankenthaler quant à sa liberté, et sa simplicité me semble-t-il. Gauguin ou Matisse me plaisent mais je ne sais pas si leur fréquentation m'intéresserait. Sinon, je n'ai pas de prédilection ni d'admiration pour la colère, et beaucoup sont trop alcooliques à mon goût. Je dirais Pierre Bonnard, J'aime vraiment son oeuvre quasi abstraite pour moi. Je m'y vois bien piqueniquer au bord de l'eau avec lui, sa femme et ses enfants.

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